15 août 2019 – P. Antoine Devienne, curé

La vision du livre de l’Apocalypse continue au travers des siècles d’habiter l’esprit chrétien. Saint Jean nous prend aujourd’hui à contre-pied et ne laisse pas la vision s’enfermer dans une explication simple. Qui est donc est cette femme dans le ciel ? L’iconographie catholique attribue volontiers la lune sur laquelle repose ses pieds, le soleil qui la drape et les étoiles qui la couronnent à la Vierge Marie. Ces luminaires cosmiques, que les Anciens vénéraient, voire adoraient, deviennent les atours de cette femme dont l’aura est maintenant aussi vaste que le ciel visible. Cette attribution apparaît naturelle, et nous reconnaitrions volontiers dans cette femme de la vision la Vierge Marie, aujourd’hui où nous célébrons son Assomption, son entrée dans la gloire du Ciel.

Qui est la femme de l’Apocalypse ?

Il y a cependant un point qui n’est pas clair dans cette assimilation. En effet, dans l’Assomption de Marie qui est associée avec son couronnement dans le Ciel. Elle est glorifiée, exaltée, associée au Christ glorieux, achevant cette belle course dont parle saint Paul, maintenant soulagée de sa tâche et de sa mission. Celle qui a répondu « Voici la servante du Seigneur » à l’archange Gabriel devient « La reine du Ciel ». Or nous observons que la femme de l’Apocalypse « crie » et se trouve dans les tortures de l’enfantement. Elle n’est pas au ciel habité par Dieu, mais aux prises dans une sorte de combat cosmique avec le Dragon. Cette femme symbolise sans doute plutôt l’Eglise, mère qui enfante dans les persécutions. L’enfant qu’elle porte et met au monde est « le berger de toutes les nations », et nous pensons normalement qu’il s’agit du Christ. Si vous m’avez bien suivi, vous devez conclure que l’Eglise enfante le Christ ! Ne croyez pas que je mélange tout : Marie est bien la mère de Jésus. Mais ce que je veux ici exprimer est que le Christ, l’enfant qui naît dans le combat des temps, est ce qu’on a appelé « le Christ total », c’est-à-dire les membres du corps mystique du Christ. Dans le contexte de l’écriture de l’Apocalypse, cet enfantement de chrétiens s’est déroulé dans la douleur de la persécution antichrétienne et la petite île de Patmos (Ap 1,9), où Jean indique être, était réputée pour son bagne. Le dragon aux 7 têtes et aux 10 cornes, peut symboliser la Rome aux 7 collines et la succession de 10 de ses empereurs…

La figure de la femme ici assume certainement la réalisation de la fille de Sion et elle accomplit les épousailles spirituelles prophétisées par l’Ancien Testament. Avec Jésus, est venu l’enfantement d’un nouveau peuple, qui constitue son corps mystique. Il nous faut sentir comme les premiers chrétiens qui se pensaient très réellement « membres du corps du Christ », ainsi que Saint Paul l’a compris sur le chemin de Damas quand Jésus l’interpelle et lui révèle que de persécuter les Chrétiens de Damas revient à le persécuter lui-même (Ac 9)

 

Deux logiques de la souffrance

Nous voyons dans la vision de saint Jean deux logiques, deux compréhensions de la vie diamétralement opposées. Dans le Dragon, nous découvrons une puissance de mort qui s’apprête à dévorer une vie naissante, qui transforme la vie humaine en nourriture, caricaturant en l’inversant en cannibalisme le symbolisme eucharistique. Quand le Christ offre son corps au monde, le Dragon attend de déchirer ce corps naissant. La pulsion animale et infanticide évoque la destruction incompréhensible et scandaleuse. Parce que le Dragon s’échigne à détruire, il introduit dans le monde les racines de l’absurde et de la souffrance insensée. Dans la Femme, la souffrance accompagne la force de vie et devient paradoxalement le signe de l’amour donné. C’est à ce moment que nous pouvons nous rappeler l’enseignement de Jésus lui-même.

« 20 Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie.

21 La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais, quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, tout heureuse qu’un être humain soit venu au monde.

22 Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. »

 

La femme de l’Apocalypse représente la maternité de l’Eglise qui dans les siècles connaît les affres de l’enfantement, et qui les endure parce que, à l’instar d’une femme, elle sait le prix de la vie, et qui plus est, de la vie divine.

 

Le lien entre Marie et l’Eglise

Pourquoi alors, la liturgie nous propose-t-il ce texte, puisque, comme je viens de le présenter, il décrirait plutôt l’Eglise que Marie ? Nous venons de voir que les images apocalyptiques ne sont pas si simples à manier et plus qu’elles définissent une réalité chronologique et arrêtée, elles peuvent inclure d’autres points de vue. Il existe une grande similarité entre la maternité de Marie qui a enfanté le Christ dans le temps, en l’accompagnant jusqu’à la croix et recevant son corps sur ses genoux comme les pietas le représente, et l’Eglise mère. L’une ne se confond avec l’autre : Marie n’est pas l’Eglise, mais sa figure éclaire celle de l’Eglise. Le soin maternel de Marie évoque celui de l’Eglise comme présence de Jésus traversant le temps des hommes.

 

C’est bien l’Assomption de la Vierge Marie qui éclaire aujourd’hui la réalité dramatique de la femme de l’Apocalypse. Sa participation à la Gloire de l’Unique Médiateur, est annonciatrice pour l’Eglise en marche dans les affres et les vicissitudes de l’histoire. Sa gloire est annonciatrice de la nôtre.

« Mais en contemplant la sainteté mystérieuse de la Vierge et en imitant sa charité, en accomplissant fidèlement la volonté du Père, l’Église (grâce à la Parole de Dieu qu’elle reçoit dans la foi) devient à son tour Mère : par la prédication en effet, et par le baptême, elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu. Elle aussi est vierge, ayant donné à son Epoux sa foi, qu’elle garde intègre et pure ; imitant la Mère de son Seigneur, elle conserve, par la vertu du Saint- Esprit, dans leur pureté virginale une foi intègre, une ferme espérance, une charité sincère «  (LG 64)

 

 

Aujourd’hui l’Assomption est autant une fête DE l’Eglise qu’une fête DE Marie. Marie donne un signe que l’Apocalypse ne fournit pas : la victoire de la femme sur les forces du mal et son entrée dans la gloire de Dieu.