Le passage du chapitre 5 de l’épître aux Ephésiens est assez déstabilisant, car en promouvant la « soumission des femmes à leurs maris », il semble justifier l’infériorité du beau sexe à l’égard de la gent masculine. Je n’ai pas la culture nécessaire pour décrire quel était le statut concret de la femme à l’époque de saint Paul, et jusqu’à quel point sa misogynie postulée est justifiée. En dépit de la mauvaise réputation qu’il traîne derrière lui, saint Paul mérite d’être réhabilité et mieux compris.
Au verset 21, saint Paul présente « la majeure » de son enseignement : « Frères, par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres » . La majeure n’a rien à voir avec la longueur du propos, mais l’idée « majeure » du discours. Ici, elle est très courte et s’adresse aux « frères ». Nous pouvons immédiatement constater que ce terme recouvre les catégories qui vont suivre dans la « mineure », le propos de seconde position. Ici il s’agit des femmes, puis des hommes. Ainsi la prescription de soumission est valable pour chacun, qu’il soit homme ou femme, au nom du Christ. Saint Paul met dans sa majeure hommes et femmes dans un même rapport de soumission les uns aux autres. Cette soumission n’est pas comparable à celle que le maître impose à l’esclave dans leur lutte à mort, pour faire allusion à la fameuse dialectique philosophique. Les notions d’autorité, de pouvoir et d’obéissance sont transformées par le Christ. Le premier est celui qui sert et la « domination » du Christ est transformée par le service, quand il lave lui-même les pieds de ses disciples. Saint Paul n’envisage pas les rapports de la guerre des sexes, des balancements des sociétés entre patriarcat et matriarcat, l’égalité (ou l’inégalité) des droits. En grec le terme « soumission » est rendu par upo-stasis (se tenir en dessous), comme le sol se tient sous la construction, les ancêtres en dessous de leurs descendants, le soutien en dessous du soutenu.
La mineure qui suit est paradoxalement beaucoup plus longue et plus complexe. Bien qu’il s’exprime aux pluriels, saint Paul ne semble pas s’adresser à deux camps ou à deux catégories mises face-à-face : d’un côté les femmes et de l’autre les maris, comme deux classes sociales. La teneur du passage concerne les relations des époux chrétiens à l’intérieur même du couple. C’est d’ailleurs l’une des difficultés du passage : il ne traite pas de droit et devoir, mais le rôle que tient l’un pour l’autre, l’homme et la femme, en référence à la révélation chrétienne. Saint Paul décrit en quelque sorte la teneur du sacrement du mariage dans sa dimension religieuse. C’est le cadre de l’intimité matrimoniale qui sert de canevas et non une sociologie descriptive. Saint Paul réfère directement l’alliance matrimoniale chrétienne à l’alliance du Christ et de l’Eglise. La femme y tient le rôle symbolique de l’Eglise qui reçoit son époux et l’homme le rôle du Christ qui donne sa vie jusqu’à la croix pour son épouse. L’un et l’autre signifie alors la réalité de l’accueil et celle du don. L’Ancien Testament fit un bon immense quand il développa l’expérience de l’Alliance, non plus en se référant principalement à l’alliance guerrière contre un ennemi dont il fallait protéger Israël, mais en prenant l’image de l’union conjugale comme expression de cette alliance. Jésus assume totalement la place jouée par Dieu et se désigne lui-même comme l’époux.
L’insistance de saint Paul sur le respect du corps que doit avoir l’homme promeut l’attention que l’homme doit avoir à l’égard de sa femme. Il doit aimer son corps comme il aime le sien. Elle ne peut pas être un objet, mais une chair unie à la sienne. Il me semble que saint Paul est ici très pertinent sur le plan psychologique : les hommes ont généralement un rapport plus détaché à leur propre corps et peine souvent à comprendre le rapport que les femmes peuvent avoir au leur propre. L’homme est appelé à aimer jusqu’à donner son corps à son épouse, comme le Christ.
Ce passage de l’épitre aux Ephésiens entraine une nouvelle compréhension des rapports entre l’homme et la femme : d’abord parce qu’elle est abordée sous un angle spécifiquement chrétien dans l’ordre du service réciproque ; ensuite parce qu’il déploie dans la vie conjugale une dimension directement reliée au Christ et à l’Eglise. La hauteur de vue ne préempte pas la réalité dont est porteur le mariage chrétien. Sans doute la vie conjugale, avec tout ce qu’elle comporte, est une image très pertinente de la vie spirituelle, à la fois très concrète et très mystique. Contrairement aux réticences que peut provoquer une telle perspective, « trop intello », « trop spirituelle », je suis certain qu’elle est beaucoup inspirante qu’elle n’y paraît. Il n’est pas question pour l’épouse de confondre le rôle symbolique de l’époux avec une prétention de supériorité, ni pour celui-ci de se prendre pour le Messie…