Zachée est un personnage attachant. Il allie le grotesque avec la plus grande profondeur. Sa petite taille en fait une caricature de ces petits calculateurs et magouilleurs, qui n’arrivent à percer qu’à force de rouerie et d’hypocrisie. Il trempe dans cette profession honnie de collecteurs d’impôts, qui ne survit probablement qu’à coup de pot de vin, de corruption avec ceux à qui il faut savoir graisser la patte. Malgré sa fortune, qui aurait dû faire de lui un notable à Jéricho, la foule lui refuse l’accès que l’on réserve à toute personne d’importance quand une personnalité telle que Jésus entre dans une localité pour qu’elle aille la saluer. C’est donc un paria auquel nous avons à faire, mêlant sans doute la crainte, le mépris et la jalousie dans les sentiments qu’il suscite autour de lui. Juché sur le sycomore qu’il a grimpé, il apparaît d’autant plus ridicule qu’il ressemble à ces gamins qui s’agrippaient sur les lampadaires à gaz pour voir un défilé dans les rues de nos capitales.
Sa position incongrue a immédiatement attiré l’attention de Jésus. Il représente une anomalie dans le décor, un peu comme « Wally » qu’il faut retrouver dans un dessin touffu. Nous ignorons comment il se fait que Jésus connaisse son nom, mais le simple fait de s’arrêter devant l’arbre, de s’adresser à lui directement et de lui enjoindre de descendre et de l’accueillir chez lui, prouve un dessein bien résolu. Cela renverse le sens de la scène : ce qui apparait d’abord être un concours de circonstances ou un hasard se révèle en fait être le déroulement d’une volonté bien décidée. Il paraît impossible que Jésus ne mesure pas l’impact négatif que son apostrophe va susciter : il choisit de préférence un pécheur public à tout autre habitant de Jéricho. Nous observons ici un premier enseignement. Jésus jouit d’une souveraine liberté pour entrer dans la vie (ici la maison de quelqu’un). Ni le péché avéré ou supposé, ni la mauvaise réputation, ni l’inévitable vexation qu’il va nécessairement infliger à ceux chez qui il n’ira pas. Jésus révèle de manière troublante un découplement entre le mérite d’une part et la justice et le salut d’autre part.
Poursuivons. Vous aurez remarqué que Zachée est debout dans sa propre maison. Cela est étonnant pour un homme riche qui doit disposer certainement de serviteurs. Un maître reste assis ou couché pour montrer que précisément il n’a pas besoin de se lever. La station debout est à l’époque du Christ la marque des esclaves au point que malgré le texte biblique de la sortie d’Egypte, dans lequel on doit manger debout le repas, la ceinture aux reins, les Juifs refusant une attitude d’esclave s’étaient mis à manger couchés, à la grecque ou à la romaine, le repas pascal. Cette attitude indique l’intention de Zachée, puisqu’on peut présumer que Jésus lui est assis (comme cela n’est pas précisé qu’il est debout)… LA suite confirme cela. Zachée s’adresse à Jésus en le nommant « Seigneur » (Kurios) ce qui est particulièrement fort et normalement réservé à Dieu. Les résolutions de Zachée sont excessives : qu’ils donnent la moitié de ses biens, mettons ; mais le dédommagement au quadruple des dols supputés est absolument irréaliste, si ce n’est qu’il n’en ait commis aucun ou très peu. Ce passage nous donne un deuxième enseignement : le renversement d’attitude ou le changement de condition de Zachée. Il ne reçoit pas chez lui un voyageur ou un hôte en quête d’un toit, mais le maître de sa propre maison et de sa richesse. Zachée s’exprime comme s’il était comptable devant Jésus de ses propres biens. Cette attitude vient alors confirmer sans pour autant l’expliquer cette résolution de Jésus à aller spécifiquement chez Zachée. A posteriori, nous comprenons que les liens qui les unissent ne sont pas fortuits et qu’à Jéricho, Jésus est reçu par un disciple qui ignorait l’être.
Ce qu’il y a d’étonnant est évidemment la promptitude et la rapidité des événements. Il n’y a pas à supposer que ces deux protagonistes se soient jamais rencontrés. En quelque sorte, Zachée se convertit sur l’occasion, in extremis, saisissant une occasion favorable. J’en arrive à un troisième
enseignement. Zachée reconnait l’opportunité et s’y engouffre. Le temps de la grâce, le moment du salut ne dépend pas de notre bon plaisir. Le psaume 94, dit invitatoire, que l’Eglise dit le matin au premier office, prévient : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez votre cœur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. » Cet aujourd’hui du psaume s’est produit pour Zachée et il n’y est pas resté indifférent. La promptitude de Zachée nous enseigne que nous ne sommes pas maitres du temps, que nous ne surplombons pas, mais qu’il nous porte. Ce temps dans lequel Dieu passe et se manifeste n’est pas à notre disposition.
L’éloge de Jésus à la fin de notre extrait consonne bien avec le verset du psaume que je viens de citer. Jésus en rappelant la descendance d’Abraham entraine avec cette évocation toute l’histoire sainte, et fait revenir à la mémoire de ses auditeurs, vraisemblablement hostiles, la logique du salut que toute la révélation jusqu’à lui a révélé.
Trois leçons pour Zachée ou trois leçons pour nous ?