Au début de notre entrainement de carême, en ce dimanche où nous faisons une halte dans nos efforts pour fêter le jour de la Résurrection, je souhaite vous entretenir de l’Ancien Adam et du Nouvel Adam. Le premier remonte au-delà de la mémoire écrite et il se perd dans une nuit des temps dans laquelle il apparaît impossible de distinguer les siècles des myriades de siècles. Il est notre ancêtre commun que la paléologie hésite à arrêter à tel ou tel type de branches humaines, mais que la Bible nous présente comme prototype des hommes, à la fois réceptacle de l’image de Dieu et réceptacle aussi de la séduction et de la concupiscence inspirées par l’Ennemi. Dans l’esprit de saint Paul, il est l’image perdue de Dieu, celui qui s’en ayant affranchi est promis à l’implacable sentence de la mort et de la corruption. Il est douloureux, pathétique et mortelle, et reproduit à chaque génération le scenario tragique de la condition humaine et la formidable capacité qu’elle a de gâcher l’héritage reçue. La capacité de destruction de l’homme ancien qui sommeille en nous est terrifiante, autant dans le constat des destructions et des violences qu’il opère à l’extérieur de lui-même que dans sa propre annihilation et sa capacité à s’effondrer sur lui-même. Le second Adam est plus précis, car c’est un personnage historique, Jésus, dont nous nous réclamons. Il est l’homme nouveau, le nouvel Adam. Il incarne dans tous les sens du terme, une attitude inverse à l’égard de Dieu et de la vie. Je précise tout de suite qu’il nous intéresse aujourd’hui pour sa nature humaine, nonobstant qu’elle est unie consubstantiellement à sa nature divine. Cet homme, donc, Jésus, entre dans un rapport inverse de son prédécesseur : il reçoit ce que le premier veut prendre, à commencer sa vie ; il donne, vit dans la confiance, quand le premier accapare et craint pour sa survivance ; il existe et vit quand le premier cherche à oublier qu’il est mortel ou qu’il considère l’existence comme un compte-à-rebours s’abimant dans le néant.
Ce contraste saisissant entre les deux Adam étant maintenant sommairement établi, il me faut maintenant dire que ce qui les distingue extérieurement n’est pas plus épais qu’un papier à cigarettes… Je parle ici d’Adam et de Jésus avant qu’ils aient éprouvé l’un l’autre la mort. Jésus est soumis aux mêmes contraintes qu’Adam et que tous ses descendants, pour la simple raison qu’il en fait partie. La même fragilité et la même exposition aux tentations subsistent en lui. Cette assimilation est tellement forte que la théologie classique dit de lui qu’il est semblable à nous, excepté le péché. Il ne vous échappe pas que cette phrase souligne l’identité du Christ avec nous, avant de rappeler l’élément différenciateur. Cette proximité conditionne notre compréhension du salut, qui n’est pas l’œuvre d’un secouriste qui lancerait une bouée de sauvetage d’une vedette, mais d’un rédempteur qui s’immisce dans tous les replis de l’humanité, y compris sa mortalité et son exposition au mal par la tentation. L’homme nouveau ou nouvel Adam ne peut être assimilé à cette nouvelle humanité forgée par les totalitarismes nazis ou staliniens, passée au feu de l’illusion du surhomme ou à celui de l’idéologie. Il n’est pas non plus celui que l’idéologie individualiste promeut et qui cherche à substituer à la nécessaire soumission de l’homme à la nature, l’illusion de pouvoir à coup de rêves scientistes et de technologie promouvoir une humanité augmentée, -le transhumanisme- ou qui serait tellement malléable qu’elle pourrait s’affranchir du donné inné pourvu par notre appartenance à la nature. La vision chrétienne apparait pour beaucoup surannée et obsolète, car elle ne promeut pas la fuite en avant des idéologies modernes, parce qu’elle ne sait ni ne veut utiliser les techniques de conditionnement des langages et leur préparation sur des durées très longues pour ne pas influencer les consciences plus que par l’annonce de la vérité. La foi chrétienne est selon les critères actuels décevante : elle ne cherche pas à trouver une échappatoire aux défis spirituels en faisant croire que les rêves de mutants ou d’ajouts bioniques qui ont accompagné l’imaginaire des gens de ma génération, pourraient être réalisés. Pour résumer, notre civilisation propose de nouveaux modèles pour éviter de réaliser cette venue du Christ au sein
Elle nous conduit au contraire à prendre l’itinéraire d’un homme dont elle croit qu’il appartient à la même nature que nous-mêmes, et que les deux millénaires qui nous séparent de lui n’altèrent en rien cette nature. Même le progrès et même l’abondance matérielle dans laquelle nous vivons et à l’égard de laquelle nous n’avons pas assez de recul ou de réalisme pour intégrer qu’elle est exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité, ne sauraient changer le fait que le Christ entre au désert comme n’importe lequel d’entre nous pourrait le faire. Il se soumet au régime du jeûne et de la solitude et se rend vulnérable à la tentation. Comme il nous ressemble à ce moment, où son esprit confond dans la faiblesse de ses perceptions les échos d’une sollicitation que chacune des trois tentations manifestent. Il se rapproche dangereusement de l’homme ancien et si nous pénétrons dans le fond de la tentation, nous pourrions nous apercevoir que le risque de la chute est tout prêt. Pourtant, c’est ce risque que Jésus a pris pour nous, et c’est celui que nous prenons pour le rejoindre.