Nous avons toujours du mal à placer Dieu dans l’orbe de la création et du cosmos. Les panthéistes le confondent avec l’ensemble de ce qui existe ; les idolâtres le rangent au fond d’un temple, de préférence dans une niche sous la forme d’une statue qu’on cajole d’attentions et qu’on essaie d’influencer par le négoce des sacrifices ; Les « transcendants » le remisent dans la catégorie de l’absolu incommunicable que seuls quelques intelligences subtiles peuvent concevoir. Les Romantiques aiment capter quelques effluves de sa présence dans un rare esthétisme promis à la furtivité.
Notre Dieu n’est pas nulle part, mais pénètre chaque interstice de la création, comme une mer incommensurable imbibe une éponge. L’image est de saint Augustin. Il n’est pas l’éternel absent ou le muet qui de temps en temps s’amuserait à taquiner l’homme par un jeu cruel de cache-cache. Il est absolument présent à chaque interstice du créé, jusqu’au plus intime de ses créatures, jusqu’au plus intime des âmes et des consciences. Notre Dieu, malgré l’étymologie du mot en français, n’est pas un Zeus perché dans l’olympe, qui soit décrète les jugements de sa colère, soit vient s’encanailler avec quelques mortelles en faisant des escapades sous forme de cygne, d’aigle, de taureau ou de pluie d’or. Il pénètre toute chose en tant que créateur et source de vie. Le génie de la Bible est d’avoir fait le lien entre l’être, l’existence, la vie et Dieu. Le Seigneur n’est pas l’apprenti sorcier qui aurait joué avec les étincelles de la fondation du monde, bien ennuyé de savoir comment s’amender devant l’imperfection de sa création. Dieu est à la racine de ma propre existence. Le fait même que je puisse vous parler, hésiter en faisant ce sermon, promener mon regard sur vous et accompagner mes paroles d’un geste trop oratoire de la main, est une création de Dieu, en qui j’ai « le mouvement, la vie et l’être » comme dirait saint Paul.
Quand nous aspirons au « Ciel », il ne s’agit pas de dépasser les strates atmosphériques ou de nous rendre dans le fin-fond de l’Univers juste derrière la dernière barrière de l’espace-temps qui au-delà de la singularité du Big-Bang déboucherait sur une réalité alternative où il serait présent. Deux références cinématographiques : « 2001, l’Odyssée de l’Espace » et « Contact », deux films qui brouilleront les pistes pour conclure que Dieu n’existe pas. Le Ciel chrétien est plutôt l’affirmation que Dieu jouit, puisqu’il est Vie, Mouvement, Être, Pur Esprit et Amour, de cette autonomie qui le rend libre à l’égard de sa création.
Où que je sois, (oui, même dans les lieux les plus… personnels ou hygiéniques), Dieu est tout entier présent et il porte chacune de mes actions, se pliant à la destination que j’ai choisie de leur donner. Parce qu’il me soutient fondamentalement dans l’existence, il n’est pas un intru, autant que la Vie avec un grand « V » n’est pas une intruse quand je respire et me meus. Il nous faut nous exercer à prendre conscience que toute chose est portée dans l’existence par Dieu, sinon il nous apparaît de manière corrompue comme une menace, insensible parce que trop éloigné, inflexible parce que ne supportant pas la compromission avec le péché. L’image parfaite de Dieu et pleinement conforme à ce qu’il est, est le Seigneur Jésus Christ. L’introduction de l’épître aux Hébreux l’affirme avec force ; le Prologue de saint Jean exprime avec plus de talent ce que j’essaie de vous dire aujourd’hui.
Cette longue première partie, qui vous a entrainé sur les prémisses de la métaphysique, peut nous aider à commenter l’évangile de ce jour. L’affirmation fondamentale est une révélation : Dieu ne veut rien d’autre pour l’homme qu’il ait la vie et la vie en abondance. S’il faut emprunter le chemin de la souffrance et de la mort pour convaincre l’homme de ce dessein, Dieu l’empruntera. Quelques fois, il se peut que nous opposions dans une logique un peu prométhéenne Jésus de son Père. Qu’une saine théologie trinitaire distingue les personnes divines ne doit pas nous conduire à suspecter une divergence entre les deux, comme deux personnes qui auraient deux manières de faire différente, la sévérité du côté du Père et la compassion et le sens du sacrifice du côté du Fils. L’incarnation introduit cet « effet d’optique », cette distance apparente où Jésus semble être différent du Père, comme une autre volonté. C’est parce que le Fils éternel de Dieu assume pleinement notre condition de créature et qu’il l’unit personnellement à lui. Dans le mystère de la Trinité, chaque personne a le même être, la même puissance et la même volonté.
En reprenant le symbolisme du Serpent d’airain suggéré par les récits du séjour dans le désert des fils d’Israël, Jésus se présente comme le remède contre les morsures du péché et de la mort. Sans doute, assimile-t-il par avance sa crucifixion au mat du gibet, à cet épisode préparatoire. Les Hébreux mordus par les serpents qui se tournaient vers le serpent d’airain recevaient la guérison. De même, quand nous nous tournons vers Jésus crucifié, nous voyons notre salut. Saint Jean est l’évangéliste qui en dépit de l’horreur de la torture, perçoit l’incroyable beauté du maître de la Vie qui a cette puissance de donner sa vie.
Le jugement de Dieu prend alors un nouveau contour. Il est à sens unique, il se manifeste par un don plus grand que le péché de l’homme. Notre Dieu n’est ni Zeus qui est sur l’Olympe, ni Hadès qui réserve les Champs Elysées ou le Tartare aux uns ou aux autres. Cette volonté de salut signifie-t-elle que l’homme est, quoi qu’il advienne, sauvé ? Je me risquerais, au nom de la vertu théologale d’espérance à dire oui, … du côté de Dieu. Il existe cependant un grand abime que l’homme peut creuser dans son âme, quand il esquive l’épreuve de la vérité, et l’adéquation de sa vie au bien. Je me risquerais alors à dire non …du côté de l’homme,