L’Ancien Testament a une saveur assez virile, -certains diront machiste-, de vengeance, de revanche et de victoire. Les raisons pour lesquelles il rebute le lecteur sont les mêmes qui fascinent par son souffle épique. Si l’on oublie les massacres annoncés ou avérés (dont l’un des pires est celui perpétré par Abimélek contre ses propres frères), on entre dans une chronique digne des plus belles sagas scandinaves ou des romans de chevalerie. Le lecteur averti sait que la Bible est un peu marseillaise et mêle souvent les souhaits avec les réalités. C’est en effet un livre qui traduit les indignations de l’homme face à l’injustice, la fierté de sa noblesse, et les aspirations profondes de justice dans un monde qui ne la connaît pas. Dieu se niche dans les mouvements du cœur pour les convertir, quitte à amener l’homme à se confronter aux propres excès de ses désirs et réaliser combien ils peuvent se révéler destructeur. C’est déjà, si vous me permettez l’expression, une sorte « d’Incarnation ». La bonté de Dieu se compromet avec la violence de l’homme pour la renverser et la lui présenter. Il arrive souvent dans l’Ancien Testament que le peuple élu renvoie sur Dieu sa propre conception du pouvoir et attend de lui qu’il soit le bras qui le vengera.
L’avènement du Christ n’a pas éteint cette soif de revanche, mais en a déplacé l’objet. Il ne s’agit plus de terrasser l’ennemi. La visée universaliste que le prophète Isaïe a initiée a fait progressivement comprendre que le païen, qui pouvait se révéler impitoyable, était aussi un fils d’Adam et était le bénéficiaire des mêmes promesses que les fils d’Israël. Le pécheur si détestable pour ses agissements pouvait aussi connaître le repentir et la conversion. Sans doute, la dénonciation des prophètes des péchés propres d’Israël et de ses infidélités à l’Alliance a-t-elle contribué, en jeu de miroir, à saisir que la patience de Dieu à son égard s’appliquait à tous les hommes. L’ « autre » n’est plus l’ennemi à abattre. Jésus énonce les signes messianiques, en s’inspirant largement du prophète Isaïe et ce passage de saint Matthieu ressemble étrangement à celui de saint Luc dans la synagogue de Nazareth. L’ennemi devient le mal qui ronge l’homme et devient véritablement un combat spirituel. Il est possible que Jean le Baptiste n’est pas été très sûr de la nature du règne du Messie, qu’il hésitât à le reconnaître en Jésus compte tenu du type de revanche qui ce dernier accomplirait. Il ne fait aucun doute que Jean le Baptiste ait clairement reconnu en Jésus le Messie, mais qu’il soit confus de le voir retenir ainsi son bras vengeur. Jésus décrit d’ailleurs Jean le Baptiste plus comme un éclaireur militaire qu’un courtisan. Il est temps pour Jean Baptiste d’accomplir sa mission à l’exemple de Jésus.
Cette précision nous rappelle la dimension proprement guerrière du Christianisme. Je pourrais dire qu’il y a effectivement une guerre sainte contenue dans notre religion. La grande différence avec la compréhension commune de cette expression, fondamentale et décisive, est qu’elle n’oppose pas Dieu à l’homme, ni une partie de l’humanité croyante à une partie de l’humanité non croyante ou mal croyante, mais Dieu et l’homme face au péché et au mal. La Nouvelle Alliance consacre définitivement le changement d’objet de la revanche divine, puisque Jésus affirmera devant Ponce Pilate son refus d’utiliser les myriades d’anges à son service pour se prémunir contre la Passion.
Le Chrétien balance alors entre deux voies toutes deux fondées et légitimes : il a le choix d’user de la légitime défense comme droit naturel pour préserver sa vie d’une menace réelle et directe, de défendre ses droits légitimes, d’une part et d’entrer dans la communion avec le Christ dans la participation dans ce combat contre mal en suivant l’exemple de son maître d’autre part. Cette alternative ne se décide pas à la légère, puisque le ministère même de Jésus indique comment il s’est préparé par la cohérence de sa vie à ce choix. L’histoire de nos pays montre combien cette alternative a été difficile à trancher pour chaque génération de Chrétiens et explique en partie la complexité de notre histoire, faite de grâce et de péchés.
En conclusion, rappelons-nous qu’on nomme Jésus « le Prince de la Paix », non pas une paix d’ambiance, ouatée et confortable, mais celle obtenue d’abord dans la simplicité de la crèche puis dans le long combat mené par Jésus contre le Mal, qui culmine au sommet de la Croix.