La coutume à Paris est de célébrer la messe chrismale le mercredi soir. Or il n’en est pas partout ainsi ; or il n’en fut pas partout ainsi… Le missel prévoit que cette messe soit plutôt célébrée le jeudi matin, auprès de l’évêque, avec l’ensemble du clergé et un grand concours de fidèle. En général, les paroisses ne célèbrent qu’une seule messe en souvenir de la Cène du Seigneur (ce n’est pas le cas à Saint Louis d’Antin), ce qui pourrait permettre aux prêtres de se rendre disponible le matin pour la messe chrismale. Pour ceux qui entendraient parler de cette messe pour la première fois, sachez que cette messe rassemble chaque année l’ensemble du diocèse, et que l’évêque y bénit et consacre les huiles saintes, celle des catéchumènes, celle des malades et le Saint-Chrême, pour le service de la sanctification des fidèles. Il prononce ainsi que les prêtres et les diacres le renouvèlement de son engagement au sacrement de l’ordre reçu.
Le soir, la messe en souvenir de la sainte Cène, prend comme évangile, non pas le récit de l’institution de l’Eucharistie avec les paroles de la consécration, mais celui du lavement des pieds. On y reconnaît le commandement du service du prochain. Ce commandement donne sens à notre philosophie de vie. Le sens du service nous décentre de nous-mêmes et nous permet de comprendre que Dieu n’abaisse pas ce qui nous entoure à la satisfaction de nos propres désirs. L’homme du service sait qu’il n’est pas la seule créature en ce bas monde, et qu’il a sa part à remplir pas seulement pour lui, mais pour son prochain. Cette interprétation est tout à fait juste et le lavement des pieds nous indique l’humilité à imiter. Il en existe une autre, plus sacerdotale. Jésus, en lavant les pieds de ses disciples, prépare les pieds de ceux qui doivent porter l’Évangile. « Qu’ils sont beaux les pieds de celui qui portent la Bonne Nouvelle », dit le psalmiste. C’est l’expression de l’institution du sacerdoce.
À cause de la date de la messe chrismale le jeudi et à cause de cet évangile, le jeudi saint est à la fois l’entrée dans le Triduum pascal et en même temps la fête du sacerdoce. Ce jour est un jour de fête pour les prêtres, durant lequel nous n’observons le carême, pas par dédain, mais pour nous rappeler dans la joie la mission que le Christ nous a confiée.
Nous partageons avec vous la tristesse et le désarroi de l’état du sacerdoce dans l’Eglise. Non que la grande majorité des prêtres soient indignes, mais la répétition des informations, des mises à jour, est éreintante, lessivante. Je ne vous cache pas mes craintes de voir d’authentiques vocations découragées de s’engager, des prêtres perdre le goût de leur état. Ponctuellement les prêtres subissent le soupçon d’être des prédateurs, parfois même sont-ils pris à partie, avec une violence verbale sans commune mesure, à cause de ce qu’ils représentent. Vous connaissez tel humoriste ou tel éditorialiste, qui lâche un trait sur l’indignité des prêtres, au point que nous pourrions devenir les prochains boucs émissaires de décennies à venir, qui portent le soupçon provoqué par la faute de leurs confrères. Leur mauvais exemple et leur faute nous révoltent, la portée de leurs actes sur leurs victimes nous scandalise et nous navre, et l’empreinte qu’elle laisse nous atteint au cœur même de notre engagement. Cette empreinte est d’autant plus douloureuse que nous savons la beauté et la splendeur de notre sacerdoce. J’ose affirmer qu’il n’y a pas d’état de plus noble que celui de prêtre, parce qu’il est d’être au service de la noblesse d’être fils de Dieu dans le baptême. Comme dit saint Paul, « l’orgueil » que nous en tirons ne vient pas de nous, mais du Christ. Nous nous enorgueillissons en lui.
Je sais que vous, aussi comme chrétiens catholiques, attachés à notre mère l’Eglise, êtes parfois pris à partie, dans vos familles ou dans vos relations. Certains, n’ayant jamais franchi le seuil de leur paroisse, assimile l’Eglise et ses pasteurs à l’image qu’en donnent les media.
En ce jeudi saint, je vous demande, non, je vous prie, d’intercéder pour les prêtres. Ce n’est pas par nombrilisme que je vous le demande, mais parce que nous en avons besoin. La vie du prêtre ne s’arrête pas à la sortie de l’église ou quand nous quittons la sacristie. C’est dans notre consécration dans le célibat, dans les moments de solitude, quand l’activité pastorale cesse, quand nous sommes dans le secret avec le Père céleste, que se joue notre fidélité. Dans notre mission pastorale, nous savons combien dans l’épreuve, les fidèles ont besoin d’être soutenus. Cela est aussi vrai des prêtres.