Les conseils du livre de l’Ecclésiastique (ou Siracide) et ceux de Jésus pourraient facilement s’insérer dans un manuel de savoir-vivre. Ils rappellent les règles fondamentales du tact et de la politesse, qui distinguent l’honnête homme du rustre et l’homme prudent de l’arrogant. Il vous est peut-être déjà arrivé d’observer la ronde des ambitieux qui se disputaient la première place, celle juste à côté de l’hôte d’honneur. Avec un agacement mêlé d’amusement, vous avez constaté qu’ils étaient les seuls à ne pas se rendre compte de leur ridicule et que leur stratagème s’était bien vite éventé. Les places qui jouxtent celle des rois, des présidents, des ministres, des affluents, des hauts prélats sont chères et constituent le trophée tant convoité de la « foire aux vanités ».
Vous n’êtes pas ici, sans doute, pour prendre une leçon de maintien et de courtoisie. Vous mettre en garde contre les écarts de la mondanité n’est pas le propos principal de l’Eglise. Sur le plan moral, nous comprenons instinctivement que la simplicité et l’humilité s’allient à la vertu de prudence et que l’arrogance et la prétention aveuglent leur victime sur sa propre valeur. C’est avec patience qu’on observe le fat et le cuistre se brûler les ailes autour des feux de la gloire.
Après le comportement social, la moralité, nous pouvons aborder la dimension spirituelle. Celle-ci éclaire singulièrement notre conception de l’humilité. Jusqu’ici j’ai finalement mis dos-à-dos deux types de comportement et mesurer l’humilité par la prudence qu’on doit avoir à l’égard de ses propres qualités et atouts, parfois même l’humilité se traduit par une certaine dépréciation de soi-même. Parfois cette réserve est feinte et Molière nous en donne un bon exemple dans son Tartuffe. Remarquez que cette approche de l’humilité est une appréciation de soi sur soi-même. Comme le silence qui se rompt quand on en parle, l’humilité disparaît dès qu’on la revendique. « Pour l’humilité, je ne crains personne » lancera le rieur. Dans l’évangile, l’humilité vient de ce que l’invité ne se place pas de lui-même. Il reconnaît par là qu’il existe une autre autorité que la sienne, pour lui désigner là où il doit prendre place. S’il prend la dernière, ce n’est ni par stratégie pour qu’on lui enjoigne d’en prendre une autre, mais dans l’attente d’une décision qui ne lui appartient pas. Les fils de Zébédée, Jacques et Jean ont cru qu’ils pouvaient avec naïveté désigner les places qu’ils occuperaient auprès de Jésus, au moment de sa gloire. Or Jésus insiste lui-même qu’il ne lui appartient pas de les attribuer.
Cela n’a l’air de rien, mais accepter le choix d’un autre heurte notre fierté et notre désir de toute-puissance. C’est cette limite qui marque la distinction entre l’invité et le maître du repas, entre nous et Dieu. L’humilité se définit dans ce passage dans la dimension relationnelle entre moi-même et Dieu. Une mine retenue, soi-disant pudique et contenue, ne suffit pas à rendre un homme humble, et parfois recouvre un monceau d’orgueil. A l’inverse, certains fanfarons, à cause de leur obéissance effective, agissent l’humilité. Rappelons-nous du père et des deux fils qu’il envoie travailler à sa vigne. C’est le plus revêche et en premier lieu le moins soumis, qui effectivement accomplit la volonté de son père. C’est là que se vérifie sa vraie humilité.
Cette approche de l’humilité, abordée par la relation à Dieu, nous rend libre, car elle la situe dans un autre cadre que celui de l’imitation d’un modèle. Elle élargit le contexte de notre vie spirituelle, en la dégageant de la seule question des vices et des vertus. Il ne s’agit pas de penser les choses selon la simple réalisation de soi-même, mais selon la relation que j’entretiens avec Dieu.