Lorsque nous observons une crèche, nous ne nous remémorons pas seulement des récits évangéliques, mais nous lisons comme en filigrane les oracles du prophètes Isaïe. Le bœuf et l’âne ne sont mentionnés par aucun des auteurs du Nouveau Testament, mais par Isaïe qui reconnait dans l’obéissance et la docilité de ses animaux l’exemple bucolique de la fidélité. De même quand nous lisons la visite des mages, que la tradition subséquente chrétienne nommera Gaspard, Balthasar et Melchior, nous retrouvons l’extraordinaire espérance du prophète de voir se réaliser la mission spirituelle d’Israël de rassembler les hommes dans une seule et même unité. Même si Hérode, mi- juif, mi-Iduméen, assume le paradoxe d’une opposition interne au judaïsme de contrer cet oracle, la visite des étrangers aura bien lieu. Hérode est connu autant pour son génie politique à complaire aux Romains en servant la Pax Romana qu’à la fierté juive en rebâtissant le Temple, que pour sa cruauté avérée à avoir décimé les membres de sa propre famille.
Isaïe inspire l’hommage des mages. Il traduit dans l’offrande de l’or, de la myrrhe et de l’encens l’aspiration des êtres humains à participer au mystère de la mort, de la divinité et de la royauté qui sont propres au Dieu unique et souverain. Plutôt que d’abonder à la tentation prométhéenne et satanique de renverser le maître de la vie, ils passent « par en dessous ». Le projet de Dieu n’est pas un avilissement de l’humanité. Dieu est don infini, et il n’a rien retenu de sa propre existence au point qu’il ne veut rien moins que de partager sa plénitude aux propres créatures que nous sommes. L’hommage des mages auprès d’un gosse n’est pas une parodie, mais la compréhension subtile de l’homme qui comprend Dieu et de Dieu qui comprend le désir d’absolu qui habite l’homme. Les Nations, symbolisées par les mages, courbent la tête devant l’enfant-Dieu et renonce à leur prétention de reléguer Dieu aux herzats de spiritualité qu’est le paganisme ou le mythe scientiste pour honorer celui qui donne tout. Hérode symbolise la contraction des vieux tyrans à retenir une hypothétique puissance que la mort ravit quand notre temps est révolu. Les mages symbolisent le mouvement des hommes, quelle que soit leur origine de s’agenouiller devant Dieu et de recevoir de lui le surplus de vie auquel ils aspirent, dans un acte d’accueil et non de rapine et de prévarication.
Nous ne mesurons pas la dimension comique de la situation : un nourrisson assiste à l’agenouillement de sages et de savants, assez avisés pour se rendre compte que l’homme n’est pas son propre créateur et sa propre providence. L’humilité des mages reflète l’humour de Dieu. Les mages anticipent cet agenouillement que nous ferons quand la vie présente laissera place à la vie éternelle. Devant Dieu, nous oserons offrir nos pauvres présents, et croiserons son regard, sans esprit de défi mais dans la conscience que nous nous connaissons depuis longtemps. Isaïe et les évangélistes nous conduisent à entrevoir cette rencontre et de l’envisager dans la perspective d’une entrevue entre deux amis. « Moi et mon Dieu » disait le cardinal saint Jean-Henry Newman. Une rencontre trop longtemps différée, qui montre l’aspiration profond de l’âme humaine et du mystère de Dieu.
Seigneur, accordez-nous d’être suffisamment simple pour aspirer à vous voir et puisque nous sommes encore en ce temps qui passe, de vous recevoir dans votre eucharistie qui nous prépare à cette grande rencontre dans votre éternité. Que nous puissions vous voir, tel Moïse dans la tente de réunion, ou saint Pierre au bord du lac de Galilée, ou les mages vous voir comme « un ami parle à un ami ».