Allons pas à pas :
Jésus parle de la venue du Fils de l’Homme pour le jugement final, entouré de ses anges et sur son trône de gloire. Jésus parle de lui-même dans les temps de sa gloire. Il décrit un évènement à venir, au centre duquel il se situe. Je me permets de souligner ce point, tant Jésus a parfois été réduit à être un rêveur idéaliste, non violent par faiblesse, tiède par nature. Quand de nombreuses personnes expriment leur malaise devant le Dieu justicier de l’Ancien Testament, elles sont étonnement ignorantes du fait que Jésus remplit les mêmes prérogatives aux jours de sa gloire. Quel étrange oubli de leur part…
Nous remarquons que le jugement est global et, si l’on me permet l’expression, communautaire. L’individualisme occidental mesure le jugement à la mesure bilatérale de notre relation à Dieu, mais évince l’idée d’une séparation collective entre les brebis et les boucs. La dimension collective du jugement est un peu plus perturbante. Les hommes ont une faculté étonnante de se justifier eux-mêmes, à s’excuser ou à se placer dans la posture de la victime. Quand on s’imagine devant Dieu, on s’attend qu’il compatisse à notre plaidoirie, au nom même de sa miséricorde. Mais qu’en est-il où le cri des malheureux monte vers le ciel. Nous ne sommes pas dans l’ordre des intentions et des excuses subjectives, mais dans l’ordre de l’injustice perpétrée ou de la justice omise.
Vous savez que Jésus n’est pas seulement le Messie juge de la fin des temps. Il a été celui que les évangiles nous ont amené à aimer et à reconnaître comme notre sauveur. Il s’est ensuite caché dans le sein du Père, et il s’est caché dans l’humanité souffrante et pérègrinante, en tirant la ligne des sacrements pour que nous puissions reconnaître sa présence mystique et sentir qu’il habite dans l’Eglise comme dans son propre corps.
Les justes sont ceux qui l’ont servi en servant leurs frères, par le moyen des œuvres de charité. Dans la parabole, il n’y a pas à mettre en balance ce qui appartient au Christ et ce qui appartient à l’un de ces petits de ses frères. Ce qu’il y a d’étonnant est précisément l’étonnement des justes, qui semblent tout ignorer du lien que Jésus a tissé entre lui et le petit. Les exemples pris par Jésus ont été reprises dans « les œuvres de charité » par l’Eglise, qui leur a adjoint les « œuvres de charité spirituelle », moins matérielles, qui complètent très heureusement cette première série, où le soin du corps est l’élément distinctif.
Les boucs, ou les injustes, semblent mis en miroir des justes, qui reçoivent en premier l’accès à l’héritage promis à la fondation du monde. Ils semblent eux aussi surpris du sort qui leur est réservé, tant ils ont été ignorants de leurs omissions. Le terme qui les qualifie est très dur, autant que la perspective de leur damnation, avec un sort commun avec le diable et ses démons. Ils apparaissent comme l’image inversée des justes. Saint Matthieu semble tellement insister là-dessus qu’il résume la séquence des questions posées par les Justes, quand il les met en négatif sur les lèvres des Injustes.
Ces deux panneaux semblent tout à fait symétriques, alors qu’ils ne le sont pas. En effet les Justes sont jugés pour leur plus grand bien en premier. Les Injustes assistent à leur rétribution. D’après les paroles du Fils de l’homme, ils auraient dû parfaitement comprendre en quoi leur sort était lié à leur inaction durant leur vie ici-bas. Qu’observons-nous ? Ils sont tout bonnement ignorants, inconscients, comme si leur cœur avait drapé d’un voile leur vision. Cette ignorance ne joue pas à leur avantage. Elle est cette ignorance coupable qui ne veut pas voir, qui s’est accoutumé à la misère, au point de ne plus en être émus. Leur simple question étonnée révèle un poison lent et virulent, qui transforme la chair en pierre, au point de ne plus entendre le cri, hurlé ou muet, de ces petits.
Nous nous posons le sens de la vie, et reprochons souvent à Dieu de l’avoir déserté. Le nihilisme contemporain se dégoute de lui-même car il a renoncé d’abord de croire en Dieu et il est en passe de ne plus croire dans la justice. Jésus nous rappelle avec force le sort de ceux qui en ont suivi le chemin jusqu’au bout. Ce chemin qui mène en enfer leur est familier puisqu’ils l’ont eux-mêmes pavé. En sens inverse, en réintégrant le sens du jugement final, nous retrouvons le sens de la vie elle-même. Le jugement nous rend la vie moins confortable, il nous somme de ne pas penser qu’à nos propres existences. Il nous empêche de nous satisfaire de nous mêmes et de nous résigner au découragement.