Quel bel évangile que celui de l’Aveugle-né ayant recouvré la vue !
Vous avez pu apprécier le renversement dans la compréhension de la notion d’aveuglement. Les Pharisiens s’obstinent à nier l’évidence avec une obstination telle qu’elle montre un autre aveuglement que celui des yeux. Nous rencontrons ce même aveuglement dans la première lecture. Chez Samuel, l’aveuglement n’est pas invincible contrairement à celui des Pharisiens. Il repose simplement sur l’adéquation entre ce que le prophète Samuel voit et les préjugés qu’il a au sujet du futur roi. Il ne peut imaginer que le cadet de Jessé puisse assumer le choix de Dieu. Malgré sa précipitation, Dieu lui indique finalement celui à qui octroyer l’onction royale. Chez Samuel, l’aveuglement provient plutôt d’une erreur ou de sa précipitation à trouver trop rapidement le roi. Revenons aux Pharisiens : les faits instruits et avérés, ils cherchent à les soustraire à un examen honnête, en alternant la dénégation et la menace. C’est un aveuglement volontaire et avéré. L’aveugle-né guéri devient pour eux une pierre de scandale sur laquelle ils butent en persévérant dans le mensonge et le faux-témoignage. Le ressort de ce passage de l’évangile de saint Jean rebondit sur ce renversement et dénonce par annonce tous les truqueurs et les faux témoins, les tribunaux d’exception qui bafouent la réalité et la vérité, la tentation du mensonge pour falsifier les faits. La tentation en est d’autant plus forte que l’enjeu est important. La sauvegarde de la foi pharisienne passe par la résistance à l’enseignement du Christ.
Ce renversement justifie le commentaire de Jésus sur la raison de l’infirmité de l’aveugle-né. Ce mal est en vue de la guérison d’un mal plus grand encore : celui de l’aveuglement du cœur. Les disciples expriment l’opinion courante de l’époque. Il est couramment reçu qu’un mal résulte d’une responsabilité et la rétribution d’une faute, aussi obscure soit-elle. Jésus détruit ce préjugé, qui affirme une sorte de rationalité du malheur, qui dispense l’homme sain de se préoccuper de lui-même. En quelque sorte, la santé et la prospérité assurent de la faveur de Dieu, qui ne peut privilégier un pécheur. A l’inverse l’échec est le signe d’une tare cachée et honteuse. Jésus récuse ce principe de penser, et inverse la compréhension de la cécité de cet homme. Il est aveugle pour manifester l’aveuglement spirituel des bien-portants. Sa guérison, qui ne résulte d’aucun acte de contrition ou de conversion de sa part, va servir à mettre la cécité des Pharisiens. Ce principe de penser est perturbant car il renverse le sens du motif de la souffrance. Il n’est pas à chercher dans le passé mais dans l’avenir. La guérison vise une prise de conscience des Pharisiens. La cécité antécédente de l’aveugle guéri est finalisée à leur conversion et Dieu prend le risque du rejet et de l’endurcissement. Ce changement de perspective révèle l’importance cruciale du salut et des dangers de l’obscurcissement du cœur qui portent en eux la perspective de la damnation.
Enfin, nous pouvons remarquer comment l’opposition et la confrontation de l’aveugle guéri avec ses détracteurs l’amènent à prendre position. C’est la conjonction entre les faits dont il est le premier témoin et la controverse dans laquelle il est entrainé qui produit un tel éveil dans sa conscience. L’aveugle guéri est désarmant de simplicité, de bon sens au point qu’il ne peut à moins de devenir fou ou calculateur, se contredire. Il est curieux de constater que c’est souvent la pression, la contradiction, bref la nécessité, qui rend impérieux l’émergence de la vérité. Ce n’est pas le confort, le conformisme, ou l’aisance qui la suscitent. C’est quand la justice est en cause. Savoir si la vérité existe, si elle est plurielle, ou se poser une autre question philosophique du même genre, est une occupation de gens qui ont du temps ou qui vivent sans pression. Comme catholiques, nous connaissons souvent la contradiction, voire la contestation et parfois le mépris, voire la persécution. Nous pouvons nous en désoler. Nous pouvons aussi en recueillir la stimulation et finalement l’aiguillon qui anime notre vie chrétienne. La pression nous amène à un choix spirituel : l’engourdissement de notre foi ou la peur, ou la nécessité de chercher la vérité, de la trouver, et de la chercher encore.