J’aimerais que vous vous figuriez ce qui se passe précisément dans la crèche : le Dieu éternel, ineffable, plus grand que tout ce que nous pouvons penser, source de toute vie, Vie absolu, s’est fait un vivant parmi nous. On l’appelle Fils de Dieu parce qu’alors qu’il est la vie et l’amour, il consent à entrer dans la position de celui qui reçoit la vie et de celui qui aimé. L’enfant de la crèche exprime que Dieu ne se réserve pas d’être la source de toute chose, mais souhaite que l’homme partage avec lui cette capacité à tout donner. Pour ce faire, Dieu réclame de l’homme non seulement l’hommage normal qu’on doit à sa divinité, mais aussi le don de l’amour. Que Dieu soit craint, respecté, vengé s’il est insulté devient dérisoire quand il demande d’abord d’être aimé. Le blasphème et le sacrilège sont certes graves, très graves. Ils sont pourtant moins tragiques que le fait de ne pas aimer Dieu.
S’il est trop difficile d’aimer ce qui est invisible, alors Dieu a choisi de se rendre visible, non pas pour complaire les tendances idolâtres de l’homme, mais juste pour lui permettre de l’aimer. L’Incarnation permet au Très-Haut de se mettre Très-Bas assez pour que la compassion, la pitié et la chaleureuse protection de l’homme puisse se reporter sur lui. C’est dans la fragilité du nourrisson que Dieu s’est blotti. C’est avec son sein de mère que Marie l’a aimé, lui prodiguant les premières tétées qui font goûter ce que l’humanité lui offre en premier, entre la chaleur des bêtes de la crèche et celle du corps de sa mère. La mémoire de l’homme oublie ces premiers moments qu’on doit absolument abstraire à toute technique si l’on veut qu’ils appartiennent à l’amour. Les bergers, qu’on s’imagine volontiers simples, constituent la première cour du Roi céleste. Ils ont l’attitude touchante des gens qui sont trop francs pour ne pas être touchés par le spectacle d’une mère entourant son tout-petit de ses bras et de ses baisers. A l’inverse, le théologien sans entrailles enchaine les concepts subtils et les hautes théories, mais il ne voit rien. Son intelligence devrait être au service de l’amour et elle s’abime dans la contemplation d’elle-même.
J’aime aussi observer la présence de saint Joseph. Que se passe-t-il dans cet homme silencieux, dont les pensées se réservent pour elles-mêmes ? L’enfant de la promesse lui est donné comme fils. Il sait combien il est précieux. Marie le lui a-t-elle remis dans ses bras ? Je pense aisément : Marie ouvre cette maternité pour laisser à Joseph de prendre sa place de père. Si la tradition aime montrer Joseph en retrait, dans une méditation un peu sombre, je pense qu’en réalité, il pèse charge et la grâce qui lui ont été confiées. Le nourrisson qu’il reçoit est celui que son peuple a attendu pour être son libérateur. Pourtant, à présent, il le reçoit dans sa fragilité, dans ses mains rugueuses du charpentier. Il est et sera pour Jésus la figure humaine du père et reçoit du Père Céleste cette charge de refléter sa bonté dans le cours des jours.
Les crèches et les représentations que nous aménageons dans nos églises ou les peintures de la nativité expriment par leur beauté et leur lumière, le reflet de cet amour que Dieu est venu demander aux hommes. Cette lumière qui se dégage souvent des crèches peut sembler naïve, mais c’est alors méconnaître qu’elle traduit la grâce qui a été faite par DIeu aux hommes, une nuit comme celle-ci dans une étable de Bethléem. La fête de Noël nous remet spirituellement dans la même attitude que les bergers. Dieu se confie dans une humanité fragile dans les mains des hommes et, à cause de cette solidarité qu’il établit par l’incarnation avec les hommes, il nous confie de veiller à l’humanité si prompte à négliger le petit et les fragiles, qu’ils soient non encore nés, vieillissant, malades, frappés par la « malchance » ou les mauvais choix de leur vie. La crèche renverse notre image de l’homme et de Dieu.
Dans cette nuit de Noël, nous serons nombreux à communier, comme à Marie, Dieu se remet à nous dans cet admirable sacrement. Sachons l’accueillir tel qu’il s’est donné.