Saint Paul nous propose aujourd’hui le raccourci le plus saisissant pour comprendre la vraie nature de l’Église. L’image du corps offre tous les éléments pour exprimer la complémentarité et les interactions entre les membres du corps social et religieux que nous formons. En étendant la notion de corps, qui en première analyse, est propre à chacun de nous, à une réalité commune, il souligne la nature sociale de l’homme, très souvent tenté par le repli individualiste sur lui-même. Cette notion de corps social est l’enjeu des penseurs politiques ou sociaux qui cherchent à en préserver l’équilibre et la pérennité. Jusqu’à la Révolution française, les métiers étaient organisés en corporations, destinées à défendre les intérêts de ses membres et à réguler les relations professionnelles. Les images prises par saint Paul du dialogue des membres entre eux pourraient s’appliquer à d’autres réalités que l’Église, tout en gardant leur pertinence et les avantages que chacun a de profiter des compétences des autres.
La pointe du texte porte sur la nature même de ce corps. Saint Paul affirme un élément qu’aucun autre corps social n’a. L’Église n’est pas une réalité issue après coup d’un accord de ses membres à suivre et à appliquer l’enseignement de Jésus et à en entretenir le souvenir. L’Église est le corps du Christ. Cette affirmation que nous connaissons bien, tant nous l’avons entendue, devrait nous choquer tant elle heurte l’évidence. En effet, nous ne disons pas que l’Église est symboliquement, allégoriquement, ou poétiquement le corps du Christ, mais qu’elle est le corps du Christ. Cela signifie très concrètement que la réalité sociale à laquelle nous appartenons est intimement ressentie par le Christ en tant que son corps. Jésus fait de notre union une réalité qui lui est intime. On parle ainsi de corps mystique du Christ. Le mot « mystique » ne signifie pas : « c’est une manière de parler ; mais ne soyez pas fondamentaliste et naïf, cela n’est pas véritablement vrai ». Le mot « mystique » signifie : « Bien que cela soit encore invisible et que cela manque d’évidence, vous êtes bien les membres de mon corps ». Pour vous convaincre de cette réalité, je vous invite à relire le récit de la conversion de saint Paul (Ac 9). La place de l’Esprit Saint dans l’Église est à ce titre tout à fait comparable à celle que le même Esprit Saint tenait dans la vie du Christ.
Pour préciser les choses, nous pourrions faire un parallèle entre la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ et la transformation du corps social que nous formons en corps du Christ. La prière eucharistique insiste sur le fait qu’après que l’Esprit Saint soit invoqué sur la matière du sacrement (pain et vain/première épiclèse), il le soit à nouveau sur la réalité sociale de l’Église (2ème épiclèse). La théologie a appelé les espèces transsubstantiées le « sacramentum » (signe) et la réalité sociale/corps du Christ, la « res » (chose) du sacrement. Le corps social (ou total, ou mystique) du Christ offre le corps/sacramentum au Père comme offrande agréable et en recevant ce corps sacramentum, il comprend progressivement qui il est.
Si vous m’avez bien suivi, si vous comprenez qu’entre le corps de Jésus évoqué sur la peinture du retable qui est derrière moi, les hosties consacrées qui pour l’instant sont dans le tabernacle, et l’assemblée que nous formons, petite partie de l’Église universelle, il s’agit d’une seule et même réalité, alors vous comprendrez de nouvelles choses :
– que votre voisin que vous ne connaissez pas, à qui vous n’avez jamais parlé, parce qu’il vous déplaît, parce que vous êtes timide ou que vous n’en ayez jamais eu l’idée, est relié à vous de manière aussi intime que la main du Christ l’est avec le pied du Christ. Cela est aussi vrai pour un « voisin » du bout du monde ;
– que votre assistance à la messe (donc votre ponctualité) ne pourra jamais se résumer à un besoin personnel. Ce n’est pas votre individualité qui est en jeu, mais le corps même du Christ ;
– que c’est une souffrance que de constater que moins de 5 % des Catholiques en France viennent à la Messe, alors que s’ils s’unissaient au Christ, ils vivraient dès maintenant de son Esprit et de la participation à la Résurrection ;
– que c’est une souffrance que l’unique corps du Christ soit déchiré par les divisions ;
– que toute attente portée aux membres du corps du Christ est une atteinte portée au Christ lui-même.