Les deux venues du Christ
Il y a deux semaines, j’ai pu vous entretenir de quelques considérations sur la fin des temps, en les détachant des descriptions catastrophiques qui illustrent les apocalypses. Il est toujours dangereux de répercuter les craintes qu’elles inspirent en essayant de les faire correspondre aux situations actuelles, de peur qu’elles nous trompent sur l’imminence de la parousie, la venue en gloire du Christ. A l’inverse, les 4 catégories que je vous avais décrites, la lutte, la purification, le « grand divorce » et le face-à-face constituent des éléments positifs de notre vie spirituelle, valables en tout temps. Il ne vous a pas échappé que, bien que nous nous trouvions dans le premier dimanche de l’Avent, les textes de la liturgie poursuivent dans le même registre que ceux qui concluaient l’année liturgique précédente.
Cette continuité nous amène à réfléchir sur la portée de l’Avent. Cette période prépare la fête de Noël, et cependant notre méditation demeure toujours orientée aujourd’hui vers la fin des temps. Cela nous induit à comprendre que se trouve associées dans le même temps liturgique deux dimensions de la venue du Christ. La première a déjà eu lieu et appartient « aux jours de sa chair ». C’est la venue humble du Seigneur dans la condition des hommes, de son incarnation parmi nous. Il vient, pour ainsi dire, à hauteur d’homme, partageant absolument tout de notre condition, même la faiblesse de notre mortalité, à l’exception du péché. La contemplation de l’enfant de la crèche rejoint le sort commun de tout homme et les déterminations de notre nature. Le livre de la Sagesse offre une méditation très proche de cette compromission d’un roi, ici Salomon, avec le commun des mortels (sa 7) :
» Moi aussi, je suis un mortel, pareil à tous, descendant du premier homme façonné à partir de la terre ; au ventre d’une mère, j’ai été sculpté dans la chair, jusqu’au dixième mois, j’ai pris consistance dans le sang, à partir de la semence virile et du plaisir, compagnon du sommeil. Moi aussi, en naissant, j’ai aspiré l’air commun, je suis tombé sur la même terre où tous ont à souffrir ; et mon premier cri, comme pour tous, ce fut des pleurs. J’ai été élevé dans les langes, avec sollicitude. En fait, aucun roi n’a connu d’autre début dans l’existence : pour tout être humain, il n’y a qu’une façon d’entrer dans la vie, et une seule d’en sortir. »
Ce qui est vrai de Salomon, me parait l’être aussi du Christ. Cette venue dans l’humilité en fait pour nous un compagnon de route, un sauveur qui vit de l’intérieur ce que nous vivons.
A l’inverse, le Christ de la fin des temps est un Christ glorifié, victorieux, et juge universel, dont la venue éprouvera la valeur des hommes. Les tribulations décrites en seront la vérification. Cette seconde venue, nous met en quelque sorte face à lui et elle peut être assez inquiétante si nous sommes trouvés trop légers. Le contraste entre ces deux venues peut nous apparaitre un peu contradictoire : sur qui devons-nous nous appuyer : sur l’humble ou sur le glorieux ? Comment réconcilier cette double compréhension du Christ, puisque toutes deux subsistent dans les saintes écritures. On préfère naturellement le Christ de l’humilité, plus enclins à sauver ce qui est perdu que le Christ de la gloire, qui sépare Boucs et Brebis.
Ce qui relie ces deux aspects du Christ est évidemment le temps qui s’écoule entre les deux venues, celui dans lequel nous sommes insérés. Ce temps ne se mesure pas à l’aune des calendriers et des siècles. Il est vrai que les textes du Nouveau Testament, les épîtres de saint Paul et celles de saint Pierre, témoignent de la croyance que le retour du Christ aurait lieu en gloire de manière imminente. Saint Pierre se corrige d’ailleurs lui-même (2 P 2) :
« Bien-aimés, il est une chose qui ne doit pas vous échapper : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion.
Il donne lui-même le sens de ce temps qui s’étire depuis 2000 ans : ce temps intermédiaire est ce lui de la conversion. Pas une conversion conventionnelle ou extérieure, mais la transformation des hommes en « l’Homme nouveau » dont le Christ est le premier. Cette « nouveauté » nous introduit dans la ressemblance au Christ. Celui que nous rencontrerons à la fin des temps est le même que celui qui nous accompagne durant notre pèlerinage sur cette terre. Moyennant les moyens de la grâce, ce n’est pas un inconnu que nous verrons, mais celui auquel nous nous unissons dès aujourd’hui. Pour prendre un parallèle, le Christ de l’humilité et le Christ de la gloire sont les mêmes que le Christ de la passion et celui de la résurrection. SI nous pouvons nourrir une sorte d’appréhension devant le Christ de la fin des temps, la relecture des récits de la résurrection peuvent nous donner une idée de la manière dont le Christ exerce le jugement. En particulier les premiers mots qu’il adresse aux disciples entraînent une confiance raisonnable dans cette rencontre à laquelle nous aspirons : « la paix soit avec vous… »