« Mon Père, vous me connaissez, je suis une bonne chrétienne. J’ai été assidue à la messe durant toute ma vie et j’ai essayé d’être la plus juste possible » : cette introduction pourrait être sur les lèvres d’une de vos tantes, peut-être de votre grand-mère, de votre mère ou tout simplement de vous-mêmes.
Elle continue : « Il y a pourtant quelque chose avec lequel j’ai toujours eu du mal. L’Ancien Testament me pose un problème ; je ne m’y retrouve pas et j’ai du mal à croire (traduisez : à me confier) au Dieu qui y est décrit. » Cette dame d’un certain âge qui pourrait prononcer ces paroles traduit une position spirituelle qui a traversé les époques depuis le IIème siècle avec l’hérésie de Marcion, et saint Augustin dans sa jeunesse alors qu’il a rejeté la religion catholique de sa mère, avant d’y revenir converti.
L’Ancien Testament souffre de la lenteur de la pédagogie des siècles. L’image du Dieu unique et aimant a été brisée dès les premiers chapitres de la Genèse et l’homme du péché originel, a du mal à allier la conscience de l’amour de Dieu avec l’expérience de sa grandeur. Il hésite entre les deux. Cette hésitation est en particulier illustrée par l’histoire du peuple hébreu. Celui est à la fois jaloux d’appartenir au seul Dieu et de défendre son unicité et sa transcendance ; sa foi se confronte aux menaces objectives que représentent les peuples voisins païens auxquels il répond par la guerre; sa fidélité est aussi remise en cause par ses propres égarements et ses propres péchés. Nous n’avons d’ailleurs pas de leçon à lui adresser car souvent aussi, bien que chrétiens, nous avons la même difficulté. En quelque sorte l’Ancien Testament nous narre comment notre Dieu unique doit passer par la pâte humaine, concrète et sans fard, pour s’y révéler. Comme Dieu n’a pas encore de visage, sinon celui que ses actions au travers de l’histoire sainte permettent de deviner, c’est par son mystère qu’il attire à lui les hommes. Il est à la fois indicible, grand et irréductible à aucune simplification humaine. Il est connu de « l’extérieur » comme le Dieu du Ciel et de la Terre, le Très-Haut, conservant le mystère de sa pensée et de sa vie dans la Nuée. Alors que devant la grandeur, les hommes sont capables parfois des pires compromissions, les Hébreux découvrent que la divinité créatrice et juge de l’histoire, n’agit pas comme on l’attendrait d’un maître. Notre Dieu laisse couramment échapper les manifestations d’une sollicitude et d’un amour à l’égard de sa créature humaine. C’est ce que nous découvrons dans l’élection d’Israël. Le juge impartial et incorruptible, dont on s’attend qu’il exerce une revanche sans faiblesse devant l’iniquité, se laisse infléchir par simple amour de l’humanité et de son peuple bien-aimé. Ses colères deviennent alors l’expression de sa compassion. On se serait attendu, à vue humaine, que Dieu ne puisse qu’être exaspéré par les lenteurs et les revirements des hommes.
A qui lit l’Ancien Testament avec l’œil de l’Evangile, est révélé la continuité et l’unité. La violence du Dieu de l’Ancien Testament est le fruit de la violence humaine qui reflue sur lui, comme les soufflets des gardes sur les joues du Christ. Le Nouveau Testament nous introduit progressivement dans l’intimité spirituelle de Jésus. Il nous est si familier, si proche, que nous oublions qu’il est ce Dieu qui parle dans l’Ancien Testament. Par son comportement, il achève dans le temps de sa vie d’homme de restaurer l’image de Dieu : l’image de Dieu que l’homme porte en lui, réparée par le don de sa propre vie ; et l’image de Dieu que nous sommes comme créatures créées à sa ressemblance, en nous sauvant et en nous sanctifiant. Le Verbe de Dieu qui parle dans l’Ancien Testament est le même qui s’est fait chair pour nous parler dans la personne de Jésus Christ. Pour simplifier les choses, et avec un anachronisme lié à la réalité de l’Incarnation, on pourrait dire que c’est Jésus qui parle à Abraham, à Moïse et à David, etc.
La caractéristique du Nouveau Testament est en quelque sorte d’ouvrir le mystère de Dieu. C’est une révélation par « l’intérieur » de la vie divine, La Trinité Sainte, unité absolue de la relation d’Amour, sort de la transcendance et ouvre son sein à l’homme. Jésus associe les hommes à la relation du Père, du Fils et de l’Esprit. Sa prière qui concrétise dans le temps la communication divine éternelle, est livrée aux hommes. Par lui, en vertu de sa médiation, nous entrons dans l’unité divine. L’intention de Dieu va jusque-là, quitte à subvertir les conceptions de la puissance que l’homme entretient à l’égard de Dieu. Pour notre Dieu, Sainte Trinité, cette révélation n’induit aucune faiblesse ou amoindrissement, si ce n’est celui du risque que prend celui qui aime en vérité et qui peut voir cet amour rejeté ou abimé. Dieu accepte cette vulnérabilité non pas par incapacité mais par amour. Par Jésus, Dieu se révèle de l’intérieur de son amour, en empruntant la voie du cœur, alors que de l’extérieur l’homme est d’abord fasciné par sa grandeur infinie. Les formules trinitaires que nous utilisons ne sont pas que de simples mots, elles expriment l’implication totale de la divinité. Les personnes divines, que la tradition a reconnu dans les relations substantielles intra-divines, nous introduisent dans cet amour divin, que le cœur de l’homme espère d’éprouver. En vivant de l’Esprit Saint, en nous configurant au Seigneur Jésus Christ, nous entrons dans la vie de communion qu’est la très Sainte Trinité. Dès que je fais le signe de Croix, ce n’est pas un geste rituel que j’exécute, mais le rappel de ma position dans le mystère divin : Par le Christ, avec le Christ et dans le Christ, dans l’unité du Saint Esprit, je rends tout honneur et tout gloire à Dieu le Père tout puissant dans les siècles des siècles.