Paul Chassagne et Virginie Montrachet projettent de se marier. Ils sont naturellement très amoureux l’un de l’autre, se connaissent depuis leurs études où ils se sont rencontrés, et depuis quelques semaines ils sentent une indicible envie de se marier à l’église. Dans le cadre qui nous intéresse, nous savons qu’ils sont plutôt sympathiques, avec des familles plutôt stables et que l’on peut raisonnablement nommer de catholiques. Nous allons voir l’évolution psychologique et intérieure tout au long de leur préparation au mariage. C’est l’abbé Albert Margaux du diocèse de Paris qui les accompagne. Ce dernier arbore un large sourire, mis en valeur par les fossettes et la commissure de ses lèvres, aussi large que son col romain est voyant et aussi impeccable que le noir immaculé et sans pellicule de son complet noir.
Première rencontre : Virginie et Paul prennent contact avec l’abbé Margaux. Ce dernier les reçoit avec un café serré, bruyamment passé par sa machine Nespresso. L’abbé Margaux, par de subtiles questions, tentent de leur faire raconter leur rencontre, leur vie, leurs études, lance une petite pique sur la constance de leur pratique religieuse, devient plus embarrassant quand il leur demande leurs adresses respectives… La première entrevue est finalement cordiale et est marquée, je le souligne, par la dimension interpersonnelle de leur relation. Paul et Virginie sont finalement de grands romantiques, qui se voient les yeux dans les yeux, seuls contre le monde entier, et le mariage leur apparaît pour l’instant comme une sorte de couronnement de cet amour si intense. Il n’y a que quelques mois, ils entretenaient une vision assez désabusée de l’union conjugale, suscitée par la litanie de divorces qu’on leur rapportait. Leur vision a complètement changé, quand ils ont rapporté le mariage à leur couple. C’est précisément l’indissolubilité du mariage qui les attire dans le mariage à l’Eglise, et ils déclarent considérer que le mariage à la mairie est une simple formalité.
Troisième rencontre : L’abbé Albert, tout en gardant son calme coutumier, s’était montré plus incisif lors de la deuxième rencontre. Il avait abordé les piliers du mariage, à savoir la liberté des consentements, la fidélité de corps, l’indissolubilité et l’ouverture à la vie. Aujourd’hui, en les interrogeant et en leur demandant des papiers pour le dossier de mariage, Virginie et Paul sentent que quelque chose change dans leur préparation. Virginie est d’ailleurs un peu mal à l’aise, car elle sent « son projet » lui échappe lentement. L’abbé Albert leur fait peu à peu comprendre que le mariage est une institution et non un contrat à deux… Les quelques suggestions de Virginie sur les chants de la célébration se sont vues diplomatiquement, mais fermement rejeter par l’abbé Albert, qui explique qu’il est incapable d’insérer la rencontre du Petit prince avec le renard comme première lecture, ni de passer ce standard de Céline Dion dont je ne me rappelle plus le titre pour le cortège de sortie. Ce qui se produit dans cette rencontre devient un renversement pour nos deux tourtereaux : ils prennent conscience que le mariage les précède comme institution et qu’il n’est pas la cristallisation de leurs désirs.
Quatrième rencontre : Paul raconte comment sa tante Nathalie, férue de sociologie, lui a décrit les différents types de sociétés et l’immense variété des modèles conjugaux. Ce pauvre Paul s’est senti décontenancé, voire un peu froissé de voir ainsi son projet matrimonial ainsi relativisé aux époques, aux peuples et aux latitudes diverses du globe. Ni une, ni deux, l’abbé Albert tire de son étagère une Bible et cite les deux passages de la Bible que, nous-mêmes venons d’entendre. Il insiste, comme je le fais actuellement sur le « au commencement de la création, Dieu les créa homme et femme ». Virginie et Paul restent suspendus un instant, et l’abbé Albert de reprendre : « le mariage s’inscrit avec plus de profondeur dans la nature de l’homme que dans des conventions sociales et des dispositions personnelles. Il vous faut remonter aux origines de l’être. Il ne s’agit pas de remonter le temps, mais la racine de vos propres existences. Jésus commente l’autorisation de la répudiation qu’accorde Moïse en soulignant bien qu’il s’agissait d’une concession, accordée à cause de la dureté des hommes. Jésus continue en reprenant que ce n’est pas le projet de Dieu et qu’en voyant le couple originel, l’homme et la femme, Dieu voyait l’alliance et le don plénier d’eux-mêmes ». L’abbé amène nos sympathiques fiancés à peser la finalité de leur existence. Il souligne avec délicatesse et réalisme que notre société actuelle n’a pas la même compréhension de l’amour que le christianisme : il est plus composé d’expériences, « de belles histoires » qui parfois deviennent des désastres, que la réalisation de la nature de l’homme et de la femme. Le mariage apparaît comme un garde-fou, une concession à la stabilité ou une forme de couronnement d’une vie commune depuis longtemps entamée. Le Christianisme rappelle qu’il est l’accomplissement de l’alliance de leur vie, âme et corps, ans la durée de leurs jours, à l’image de l’alliance entre l’homme et Dieu.
J’ajouterais, après mon confrère, l’abbé Albert, que le récit de la Genèse que Jésus a cité, offre une très belle contemplation de la profonde nature de l’homme à trouver dans la femme l’aide qui lui est adapté. L’habilité de la Bible est de montrer que l’homme est pleinement inséré dans la communion avec Dieu et avec la création. Pourtant Il y a quelque chose qui manque lorsque Dieu offre à l’homme un être animé qui puisse lui convenir. Il ne s’agit pas d’un besoin inassouvi, mais d’un désir encore inaccompli. Dieu a inspiré à l’homme de vouloir plus : non pas quelque chose, mais quelqu’un. La poésie du récit de la Genèse culmine quand l’homme voit dans la femme sa propre chair (« os de mes os », « chair de ma chair ») et pourtant quelqu’un de différent.
Ces très beaux textes nous sont nécessaires pour découvrir en profondeur le sens du mariage. La Bible allie la nature de l’homme et de la femme avec la révélation du projet que Dieu a pour eux. Un regard à la fois humaniste et chrétien.