9 septembre 2018 – P. Antoine Devienne, curé

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A l’écoute du prophète Isaïe, vous avez peut-être été saisis par la vigueur de son ton, mâle et pleine de courage : « soyez forts, ne craignez pas ». Plus loin, comme vous partagez l’espérance de nos pères de l’Ancien Testament, vous avez compris que les mots « vengeance » et « revanche » n’avaient rien à voir avec la pitoyable haine des êtres vexés, mais expriment en termes bibliques, les temps de consolation et ceux du salut. Les estropiés de la terre, les aveugles qui marchent dans l’obscurité ou les sourds pour lesquels le monde alentour ne résonne plus de ses multiples harmonies, entrent dans un état intermédiaire entre ce monde qui passe et la révélation plénière de Dieu. Les temps de la consolation, au sens du Prophète Isaïe (consolez, consolez mon peuple (Is 40) sont importants : ils sont ces temps où nous sentons la sollicitude de Dieu pour nous, le sentiment de sa présence en nous, la confiance de sa bonté paternelle infinie. Jésus y fait écho dans l’émouvante guérison du sourd-muet, qui inspire l’un des rites du baptême. Autant que la guérison, la proximité et l’intimité que Jésus entretient avec ce sourd-muet reflètent celles que Dieu veut entretenir avec nous. Sans vouloir l’éluder, la présence du miracle n’est plus essentielle. Le prodige, ici la guérison, laisse la place à une réalité plus profonde, le fait de ressentir l’affection de Dieu.

« Soyez forts, ne craignez pas » est aussi un encouragement dans la vie spirituelle à trouver en soi les ressources qui nous permettent de passer la difficulté et l’épreuve. La sollicitude divine et la vie de grâce ne dispensent pas l’homme de cette consolidation intérieure que chacun doit entreprendre. C’est souvent au travers de cette fortification intérieure que l’action de l’Esprit Saint se concrétise, sans même que nous nous en rendions compte. Alors que nous pourrions estimer que Dieu nous a quitté, il est entré plus profondément dans la trame de notre existence, dans les confins de notre âme, au point que nous ne nous rendions plus compte de cette présence. Le propre de la présence de l’Esprit Saint est qu’elle n’est reconnaissable que par ses fruits, les fruits que nous portons. Et chacun sait qu’il faut du temps pour qu’un arbre puisse en porter :

« 01 Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, + qui ne suit pas le chemin des pécheurs, * ne siège pas avec ceux qui ricanent,

02 mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit !

03 Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau, + qui donne du fruit en son temps, * et jamais son feuillage ne meurt ; tout ce qu’il entreprend réussira, »

Les temps de la consolidation répondent à cette correspondance entre la vie naturelle et la vie spirituelle. La grâce divine respecte les lois de la maturation et selon l’adage fondamental : « la grâce ne supprime pas la nature, mais l’assume et la porte à la perfection ». Cela signifie que Dieu n’agit pas en contradiction avec sa propre création. S’il existe des miracles, si les évangiles nous rapportent les gestes d’autorité d Christ, cela ne signifie pas que Dieu agit à rebours de la nature humaine. La vie chrétienne et spirituelle accepte d’entrer dans cette maturation et cette transformation profonde de notre être. Il ne suffit pas pour Dieu de nous faire vivre « une expérience spirituelle » extraordinaire ou enthousiasmante. Il s’agit de transformer profondément notre être, de l’affermir et de le confirmer.

Certains connaissant des moments extraordinaires, des nuits de feu ou des jours où ils sont totalement séduits par Dieu. Le souvenir de ces temps leur laisse une impression profonde, mais celui-ci se perd et se délite au fur et à mesure du temps. Comme la « consolation » ne s’est pas consolidée, ils en ressentent une amertume, voire une déception, et peu à peu tombent dans une forme de dépression spirituelle, où « ils ne sentent plus Dieu comme avant ». Pou étayer leur propos, ils décrivent l’église de leur enfance qui aujourd’hui est fermée. Ils recherchent dans les confessionnaux la petite flamme qui fera ressusciter cette merveilleuse expérience qu’ils ont faites dix ou vingt ans plus tôt ; ils viendront se plaindre que malgré tout ils ont connu des épreuves, oubliant que par elles, on apprend aussi à s’affermir et à exercer notre persévérance. Le drame pour ces personnes est qu’elles ont confondu l’expérience de Dieu avec le souvenir qu’elles en conservent.

Dieu ne fait pas que guérir ; le Christ ne fait pas que guérir. Il nous confie aussi une mission, un service à accomplir, et attend de nous que nous nous dotions de la force intérieure nécessaire. J’ai parfois remarqué dans ma propre vie de prêtre que certaines difficultés, sur le moment décourageantes, étaient une préparation pour une mission future. Le fait de les surpasser constituait à la fois une expérience et une consolidation. Nous trouvons le bonheur dans notre vie de chrétien quand nous acceptons que Dieu prolonge en nous cette préparation, qui poursuit son acte de création.

A la fin de cette homélie, je vous invite à bien relier la consolation divine avec la consolidation divine. On peut venir à saint Louis d’Antin pour la première, et y revenir pour étayer la seconde. Le chemin du Christ, selon ses propres paroles, passe la porte étroite de sa suite. Mais ne dit-on pas du Chrétien qu’il est disciple de Jésus ?