Noël 2019 – P. Antoine Devienne, curé

Après avoir entendu le martyrologe, l’introduction à la nativité de saint Luc, nous voilà rendu à un âge pivot de l’histoire des hommes au centre du temps. Ce pivot est constitué par la naissance du Fils de Dieu dans le temps des hommes et de sa sainte rédemption. 33 ans selon le comput de saint Luc, peut-être un peu plus selon les recherches autorisées des historiens.

La première chose à retenir dans cette nuit sainte où nous célébrons la naissance du Rédempteur est la discrétion, le secret qui entoure le dessein de Dieu. Qui est Jésus, petit enfant, dans l’histoire des empires et des grands mouvements de l’histoire ? Est-ce un conquérant comme Alexandre le Grand qui étendit son règne de l’Europe à l’Inde ? Est-ce César qui soumit nos ancêtres en enfermant Vercingétorix dans la prison de la Mermantine ? Est-ce le conquérant de l’Arabie qui voulut soumettre le monde à sa foi ? Est-ce Genghis Khan qui régna sur les trois quarts de l’Asie et la moitié de l’Europe ? Est-ce Napoléon qui porta nos couleurs au prix de combats sanglants jusqu’à incendier Moscou en 1812 ? Est-ce l’un des despotes du vingtième siècle qui voulut étendre au monde le règne communiste ou celui de la race choisie ? Nous sommes devant l’événement le plus banal de l’existence humaine. Dans la crèche de Bethléem, nous n’avons pas à faire à une de ces hautes figures, aussi fascinantes qu’elles peuvent détestables, mais au plus commun des hommes. La simplicité de la sainte famille ne tranche pas avec ces familles qui sans être misérables ont trouvé un refuge d’une nuit pour mettre au monde l’un des enfants des hommes. Même la pauvreté de Marie et de Joseph ne se distingue pas de ceux qui connaissent frugalité. Tant que notre Seigneur ne se révélât au monde, il serait passé inconnu dans la mémoire des hommes. Au soir de Noël, le Fils de Dieu qui est aussi le fils des hommes, ne se distingue pas de la cohorte des anonymes de l’histoire. Il a choisi de ne pas naître dans les boudoirs des hauts palais et à part quelques bergers, aucun des grands de la Terre, si ce n’est quelques mages, sont venus l’honorer. Le point saillant de cette nuit de Noël est de remarquer que l’homme le plus important de notre histoire aurait pu être le plus inconnu de l’histoire. C’est probablement pour cela que nous aimons le célébrer. Jésus aurait pu naître dans notre famille, puisque nous venons dans cette église non pas avec le cœur des Orgueilleux et des Superbes, mais avec celui des Humbles que Dieu aime tant. A cause de cela, quand nous fêtons Noël, nous savons que Jésus naît dans nos foyers et que si nous venons à l’Eglise, c’est pour accueillir le plus simple des Hommes dans nos vies.

La seconde chose à retenir est que si Dieu n’a pas choisi pour son fils la voie de la puissance qui caractérise les Grands de ce monde, c’est qu’il veut obtenir autre chose des hommes que l’admiration et la vénération craintive. Dans la nuit de la crèche, Jésus ne reçoit ni l’or, ni la myrrhe ni l’encens, toutes substances qui expriment son indicible grandeur divine, mais la chaleur du sein de Marie, la paisible protection de Joseph et l’hommage simple des bergers. Les anges peuvent chanter dans les Cieux, ce sont les simples gestes de la générosité humaine que Dieu vient recevoir en hommage en premier lieu. Dieu attend de l’homme la réponse d’amour et pour mieux la recevoir, il a choisi le chemin de la grossesse, celui de l’enfantement et celui des premiers cris humains pour nous attirer à lui. La fragilité d’une vie naissante, soumise aux aléas des dangers qui menacent la vie infantile, est l’arme qu’il déploie pour nous attirer à lui. Les contes et les mythes aiment insister sur le caractère merveilleux des naissances de roi, l’évangile qui ne sacrifie pas les signes cosmiques à la naissance des grands hommes, concentrent notre attention sur la plus belle attitude humaine qui est ce désir de protéger la vie naissante. Nous nous sentons curieusement en famille devant la crèche, qui nous soyons riches ou modestes, car avec elle, nous comprenons que Dieu s’est fait véritablement l’un de nous.

La troisième chose à retenir en cette nuit de Noël est une leçon pour notre temps. Nos esprits sont troublés par les grands mouvements qui présideront notre future : les grandes migrations humaines poussées par l’explosion démographique de certaines régions et la mort démographique des nôtres, les enjeux écologiques qui modifieront sûrement notre environnement, la perte des valeurs humanistes et chrétiennes de nos sociétés, les changements de polarité économique et sociale dans le monde. Nous craignons d’être balayés par le sens de l’histoire et voir nos espérances emportées par des forces que nous ne maitrisons pas. La crèche par sa simplicité nous rappelle que la plus grande puissance au monde ne se mesure pas à coup de statistiques ou de grandes tendances. Saint Jean et saint Marc ne font aucune allusion à la naissance de notre Seigneur, contrairement à saint Matthieu et saint Luc. Ces derniers ont voulu remonter à la naissance du Christ pour y trouver le secret qui anime l’histoire dans son cœur et non pas dans ses manifestations les plus évidentes. Les Chrétiens eux-mêmes ont célébré la naissance du Rédempteur à partir du IVème siècle de notre ère avec l’intuition géniale que la puissance de Dieu se déploie d’abord dans le secret et la modestie. Ils voyaient les grands changements qui allaient bouleverser leur monde jusqu’au sac de Rome en 410. Aujourd’hui la crèche nous rappelle que le sens des événements n’est pas mu uniquement par les grandes tendances de notre temps, mais qu’il débute dans le secret de ce que l’homme porte en lui. Si certains philosophes de l’histoire lisent les évolutions à partir de grandes tendances ou de grandes logiques comme celles du Maître et de l’Esclave, le Chrétien apprend au long de sa vie que c’est la puissance présente à la crèche qui a mis à bas la puissance des Césars, qui a inspiré la conversion des Païens qui ont envahi nos pays, comme nous le célébrerons dans quelques jours avec le jubilé de notre Sainte patronne sainte Geneviève. Tant que les Chrétiens comprendront que la fragilité de la crèche augure la puissance de la croix sur la haine et sur la mort, alors ils auront dans le cœur une force que l’inquiétude du temps présent ne pourra soumettre.

Un Sauveur nous est né ; un Fils nous est donné, éternelle est sa puissance !